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« Tous les mots qu'on ne s'est pas dits » de Mabrouck Rachedi


C’est le récit d’une saga familiale issue de l’immigration algérienne vue par le regard de Malik, le dernier de la fratrie, qui ouvre l’album de famille avec l’arrivée en France de ses parents Fatima et Mohand. Le point de départ est le rassemblement de quelques-uns des 10 enfants et petits-enfants sur une péniche louée pour fêter les 70 ans de Fatima. Leur ultime cadeau est la réalisation de son rêve qui l’obsède depuis qu’elle a quitté l’Algérie avec Mohand en 1962 : voir de près la Tour Eiffel. Nous sommes en octobre 2005, au moment des émeutes en banlieue. Se dessine ainsi dès le début le projet de l’auteur d’écrire une fresque à la fois intimiste et historique, où il mêle la réalité et la fiction pour raconter le cheminement de ses personnages confrontés à leur histoire personnelle et à l’histoire collective. Cela ne va bien sûr pas sans heurts, mais la joie est aussi présente car, comme dit l’auteur, « on se construit dans le conflit, mais aussi dans l’amour ». Le thème de l’identité semble prendre une place primordiale chez l’auteur, et plus précisément la question d’identités multiples et complexes qui se déterminent au contact de divers épisodes appartenant à diverses époques de l’Histoire. Les destins conflictuels de l’Algérie et de la France ont une influence sur les destins personnels. C’est ainsi que nous sommes transportés aux côtés des tirailleurs de la première guerre mondiale, dans la guerre d’indépendance de l’Algérie, en plein massacre du 17 octobre 1961, que nous côtoyons le mythe du retour au pays, l’élection de François Mitterrand, la montée du Front National…mais aussi le mythe du bandeau de Brigitte Bardot, de la diffusion du clip « Thriller » de Michael Jackson, de la mort de Jean Gabin, de la fierté ouvrière ou de la destruction des tours HLM des Minguettes, etc. Le questionnement du sens de la famille suscite plusieurs réponses selon le cheminement et les vues de chaque personnage. L’acte fondateur est la relation entre Mohand et Fatima qui se sont mariés par amour, défiant les codes ancestraux de leur village algérien. C’est ensuite le regard admiratif de l’enfant Malik pour son père, ouvrier laborieux qui transmet à ses enfants l’amour de la famille et l’acceptation de ses normes et codes – « La famille, c’est sacré » - mais aussi le désir ardent de dépasser la condition humaine d’une famille immigrée. « Un jour, ce sera vous les chefs ». Et cela commence bien sûr par l’école : « A l’école, c’était la même chose, il nous fallait être « meilleur que les Français », c’est pourquoi il refusait, autant que sa maîtrise de la langue le lui permettait, de parler avec nous dans nos langues natales, le tamazight et l’arabe. » L’auteur insiste sur les fêlures, les contradictions qui pèsent sur les personnages : Chez les Asraoui, « il fallait être français, sans tout à fait l’être et tout en cherchant à l’être mieux. » Les chemins menés par cette grande fratrie pour la quête de l’identité sont alors bien sinueux et jonchés de non-dits et de silences : « Sofiane, Myriam, Dihya, Kader et moi avons choisi notre identité, chacun à sa manière, et rien n’assure qu’elle n’évolue pas encore….L’identité n’est pas qu’un héritage mais aussi un horizon que l’on se fixe. » Sofiane, l’aîné qui pousse l’assimilation jusqu’à changer son nom en Stéphane. Kader, le belliqueux et l’homme d’affaires dans l’âme qui cache ses blessures en s’affichant comme « un transfuge de classe et de race ». La sœur Dihya qui sacrifie sa vie pour prendre soin de la mère. Et puis Malik, le narrateur, qui a renoncé à une vie professionnelle juteuse dans la finance pour devenir écrivain, ce qu’il tait à sa famille, craignant ne recevoir que moqueries et incompréhensions. Il y a aussi Mohand, le père et son compagnon Gérard, le « tonton français », unis dans leurs combats communs de prolétaires. C’est aussi l’histoire d’un rêve bâti par les parents depuis l’Algérie et la France. Mabrouck Rachedi a réussi une fresque sociale, politique et personnelle en dressant le portrait d’une famille aux visages multiples qui cherche, malgré les fêlures et les blessures, à trouver sa place dans cette société, loin des stéréotypes. C’est une narration d’une touchante profondeur, d’une écriture qui dégage une grande sensibilité et une vivante spontanéité.


« Tous les mots qu'on ne s'est pas dits » de Mabrouck Rachedi paru en janvier 2022 chez Grasset.

Mabrouck Rachedi est journaliste et romancier. Né en 1976, en banlieue parisienne d’un père et d’une mère algérienne, il est fils d’une famille nombreuse et a grandi en Essonne. Il est analyste financier de formation. Son premier roman a été publié en 2006.



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