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«Le miel et l'amertume » de Tahar Ben Jelloun

Dernière mise à jour : 17 juin 2021


"Les hommes sont regroupés d'un côté, les femmes de l'autre. J'ai regardé ce spectacle et j'ai eu envie de vomir, pas dans les toilettes, pas en cachette, mais là au centre du salon...Vomir et prendre la parole en arabe, cette langue où l'on ne prononce pas certains mots, par honte, par fausse pudeur...J'ai 16 ans j'ai été droguée et violée...Je vous rends responsables car vous ne voyez rien venir. Cet honneur à été bousillé par une personne qui sévit dans la ville, aucun homme parmi vous ne se lève pour...au moins lui couper son horrible sexe avec lequel il a fait un trou dans mon hymen...un trou qui est en vérité ma tombe".

Dans ce cri de Samia il y a toute la diatribe de Tahar Ben Jelloun contre ce Maroc corrompu jusqu'à la moelle. Dans ce père qui a démissionné, dans cette mère qui est une marocaine traditionnelle dans sa version la plus cruelle, dans ce couple qui se détruit, il y a tout le naufrage d'un monde "où la religion voulait tout contrôler y compris les rapports intimes entre les hommes et les femmes".


Le lecteur entre dans cette histoire comme dans un labyrinthe qui mène bien au delà du drame familial et de lasociété marocaine.

C'est Mourad, le père qui ouvre le récit à la première personne, en décrivant sa pauvre vie dans le sous sol de leur maison. Nostalgique de ce Tanger international que lui racontait son père, Mourad ne comprend plus ce Maroc où les filles sont de plus en plus voilées, "de la maman à la putain ". Malika, la mère prend ensuite la parole pour expliquer qu'ils "ont fait comme leurs parents et leurs grands-parents avaient fait dans les temps anciens" et qu'en bonne musulmane elle avait espéré l'aide et la protection de Dieu, mais que tout s'est écroulé en un instant.

A mesure que leurs récits solitaires s'entrecroisent l'amertume grandit, Mourad ne bande plus, Malika sombre dans la déprime, la haine grandit jusqu'aux coups. Pour survivre le mari finit par céder à la "corruption qui fait partie de nos moeurs" comme lui rappelle sa femme.

Surgit alors Samia, l'ado qui s'évade avec Eluard, Aragon, Mahmoud Darwich, Simone de Beauvoir, Samia qui se réfugie dans la solitude, étrangère à sa famille. C'est dans son journal intime que ses parents découvriront les raisons de son suicide.


La construction du roman avec cette suite de monologues où chacun se raconte sa version renvoie à la solitude de personnages qui se déchirent dans une société qui a perdu son sens. IL faut attendre l'arrivée du jeune immigré mauritanien pour sortir de ce huis clos à trois, pour que Mourad dont il s'occupe ose lui confier "qu'un pays qui construit plus de Mosquées que d'écoles ou d'hôpitaux est un pays fini ", Vial en sait quelque chose lui qui a du fuir sa terre natale. C'est alors qu'apparaissent les enfants qui ont survécu à cette famille qui n'était pas normale comme Adam, parce qu'ils ont pris un autre chemin, fuyant la haute surveillance religieuse. Moncef, le petit frère qui est celui qui n'apparait pas dans cette histoire parti tôt au Canada pour échapper à cette famille où régnait la folie.

Dans ce monde clos déchiré entre la tradition et la modernité, dans cette tragédie où personne n'est coupable renvoie bien au delà du Maroc. C'est tout le talent de Tahar Ben Jelloun.


"Le miel et l'amertume "

Tahar Ben Jelloun

Éditions Gallimard.

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