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« Mon nom est sans mémoire » de Michela Marzano


Pour certaines personnes, la quête de vérité est moins motivée par le souhait d'atteindre une hypothétique et illusoire vérité absolue que par l'urgence de stopper l’hémorragie du mensonge. C'est le cas, me semble-t-il, de Michela Marzano. Car l'écriture de cette longue enquête aux allures de roman a pour origine un profond malaise. Une douleur que l'autrice ressent dans son corps depuis son plus jeune âge et qui a failli à plusieurs reprises lui coûter la vie.

Autrice d'essais et de roman, Michela Marzano enseigne actuellement la philosophie à l'université de Paris-Cité après une carrière en politique en Italie. Portée par des valeurs de gauche notamment véhiculées par son père Ferruccio, elle découvre en 2019 que celui-ci portait en cinquième prénom Benito, le prénom de Mussolini. Ce « détail » (en référence à la célèbre formule de Jean-Marie Le Pen) est le point de départ de ce long dépoussiérage des origines. Oui, il y avait une omerta sur le passé fasciste du grand-père Arturo. Avec courage et détermination, elle recherche, à l'affût de toute information. Mais c'est très délicat, forcément... Le grand-père est mort, elle ne l'a pas connu. Quant au reste de la famille, si tout le monde s'est tu, c'était bien pour quelque chose. Mais son grand-père était un homme public, il y a donc des archives. C'est ainsi qu'elle découvre la honte. Cette homme avait été un fasciste de la première heure. C'est-à-dire qu'il n'était pas un des ces jeunes paumés trouvant un remède à leur désœuvrement. Non, Arturo était un partisan convaincu et impliqué qui, en tant que juriste, a fait carrière pendant les 22 années du régime fasciste. Certes, à la fin de la guerre, il a été épuré. Mais bien que démis de ses fonctions, il a su se replacer en entament une carrière politique sous couvert d'une étiquette monarchiste. Mais Arturo est resté fasciste jusqu'à son dernier souffle. L'autrice en profite pour nous dire que son grand-père a fait parti des rares à avoir été jugés. En effet, le successeur du Duce, démocrate, avait trouvé bon de donner à sa politique un caractère magnanime. On croit rêver... Ce qui sous-entend que la plupart des ex-fascistes se sont fondus dans la nature. On comprend bien pourquoi et comment « la bête » résiste.

D'autre part, Arturo n'a jamais cessé d'écrire. Et Michela découvre aussi tout un pan plus intime de la vie de son grand-père. Elle ne cherche en aucun cas à le réhabiliter mais affine ses connaissances. Elle cherche à comprendre d'où elle vient pour mieux savoir qui elle est. Quelque part, cela va dans la continuité de ses vingts années de psychanalyse. Elle comprend mieux les tensions relationnelles avec son père, fils de fasciste, taisant la honte, cherchant le salut dans des idées progressistes tout étant lui-même fermé à tout débat.

Et Michela Marzano nous parle aussi de L'Italie, de ses failles, de ses contradictions. A travers le portrait de son père, justement. Pour son refoulement d'un passé sombre, dans sa difficulté à l'assumer. Ce n'est en effet qu'en 2019 que l'Italie reconnaît l'implication du régime fasciste dans la Shoah. Son père, un homme prônant des idées de gauche tout en ayant au sein de sa famille un comportement de dictateur froid et intransigeant.

L'Italie est également évoquée à travers ce qu'elle découvre de son grand-père. Ce fasciste convaincu et puissant, à l'origine de tant d'injustices, de crimes et de maltraitances. Ce même homme qui était capable d'éprouver et de manifester une infinie tendresse avec les siens.

Et cela ressemble à l'Italie, oui. A son charme, la séduction qu'elle exprime dans sa culture du beau, dans sa jovialité, sa propension au superlatif et, en même temps (autre formule célèbre) dans sa fascination récurrente pour la force mortifère. En cela, le livre de Michela Marzono est aussi écrit pour réveiller les consciences. Celles de ses concitoyens, d'abord. Mais également les nôtres. Nous, Français. Nous, Terriens. Réveiller nos consciences. Nous mettre en garde.

Enfin, comme une révérence, l'autrice revient à elle, avec modestie mais aussi pour faire apparaître l'immense responsabilité qui incombe à chacun de nous. Car ne pas oublier, c'est la seule façon, pour moi aussi, de sortir des contradictions qui caractérisent ma propre existence.


Et pour terminer, quelques phrases éparses de ce livre important.


Je pense que le linge sale ne doit pas toujours être lavé en famille, et que l'oubli n'arrive jamais à pacifier un pays.


Mais comment peut-on aller de l'avant sans avoir fait les comptes avec son passé ? Comment peut-on célébrer l'amnésie, quand ce n'est qu'en cultivant la mémoire qu'on peut espérer que certaines choses ne se reproduisent plus ?


Nos racines ne nous déterminent pas, nous ne sommes pas des arbres. Mais l'héritage familial, nous le portons en nous.Le passé ne passe jamais. Il est inutile de s'illusionner en pensant que certaines choses ne se reproduiront pas. L'Histoire nous prend toujours au dépourvu.



Editions Stock, 2022

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