« Mauvaises herbes » de Dima Abdallah

Les mauvaises herbes sont des étrangères, sauvages et indomptables, qu'on arrache et qui repoussent partout, résistantes et libres. Subtile et pertinente métaphore. Née au Liban en 1977, Dima Abdallah vit à Paris depuis 1989. Elle écrit ce premier roman dans un double langage botanique et littéraire, cherchant à comprendre les liens très forts qui unissent un père avec sa fille. C'est leur récit intimiste croisé à deux voix qui ne sont pas nommées et qu'on suit pendant plusieurs années entre le Liban et la France. Les premières pages nous plongent à Beyrouth dans un pays en pleine guerre civile. Mais ce n'est pas un roman sur la guerre. C'est le parcours intérieur de deux êtres qui se ressemblent et tentent de survivre dans la guerre. Celle-ci est le pire des contextes pour ces deux étrangers qui ont du mal à trouver leur place, à se définir, dans une société à la dérive. La première scène est saisissante d'émotion retenue et de pudeur: un père vient chercher sa fille à l'école. Elle l'attend et pose simplement son petit doigt dans la main protectrice de son "géant" de père. Elle ne pleure pas, elle ne trahit pas sa peur, elle ne veut pas que son père la voit pleurer. Mais en vérité, elle n'est pas dupe. Elle a conscience que sa jeunesse lui est volée. Elle attend la protection de son père et en même temps, elle réalise son besoin de le protéger, lui, le poète maudit, libre, dans un pays traversé par les conflits et qui paye cher sa liberté. Dans la deuxième partie du récit, la famille, sauf le père, quitte le Liban et s'installe à Paris. Pas mieux qu'au Liban, la fille se sent encore plus dramatiquement étrangère dans cette France froide. L'auteure parle de solitude, de souffrance, de déracinement, de perte, de déchirure, de silence. Singulière relation père-fille. Le silence de cet amour qui n'arrive pas à se dire, c'est le silence assourdissant de l'absurde qui triomphe quand il n'y a pas de mots. Finalement, ils dialoguent et les plantes sont leur fil de langage. Ils partagent pour elles un amour désespéré. En effet, elles leur donnent d'une part une illusion de sédentarité et d'autre part un moyen d'éviter de parler du reste qui est trop douloureux. L'auteure fait aussi l'apologie de la liberté et de la poésie. Et si ce roman, huis-clos qui tourne en boucle, est dur pour le lecteur, c'est aussi l'histoire d'une renaissance. J'ai lu quelque part que le poème à la fin du roman est un poème du père de l'auteure pour "terminer en lumière". Magnifique premier roman.
« Mauvaises herbes » de Dima Abdallah chez Sabine Wespieser