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« Mauvaises herbes » de Dima Abdallah

Dernière mise à jour : 11 mars 2021


C'est une histoire d'amour sur fond de guerre civile libanaise. Une histoire de liens familiaux qui s'accrochent à la chair des protagonistes. Ils sont quatre : le père la mère la fille le fils. Soudés. La narratrice cependant ne s'intéresse qu'à la relation entre le père et la fille. Les autres s'estompent dans le décor fantomatique créé par les éclats d'obus et les explosions.

Le roman commence en 1983, la petite fille, dont on ne connait pas le prénom, n'a connu que la guerre depuis sa naissance. A sept ans, elle se sent différente des autres enfants de son école, tout comme son père, électron libre sans attache partisane ni en politique ni en religion.

Ces deux êtres, attachés l'un à l'autre puis arraché l'un de l'autre parce que vivre loin de la guerre pour la fillette, en France par exemple, peut assurer sa survie, illustrent au sens littéral l'expression "avoir quelqu'un dans la peau". Cette relation épidermique écrite "à l'os", nous est raconté à deux voix, celle du père et celle de l'enfant.

De 1983 à 2019, alternent les points de vue de l'enfant et du "géant", son père. Leurs paroles, rares, tournent autour des blagues de l'un pour évacuer la peur de l'autre, et des plantes aromatiques qui décorent la terrasse, seules rescapées quand il faut déménager en hâte. L'essentiel entre eux passe par la petite main serrée dans la grande. "Je regarde et vérifie encore que sa petite main douce et chaude se cramponne bien à mon doigt". L'essentiel est ailleurs. Dans les gestes anodins ; le contact avec la paume, les phalanges, les ongles ; le regard parfois ; le sourire éventuellement.

Les années passent à travers les corps abîmés, fatigués par tant d'efforts pour survivre. Le père, grand buveur, écrivain en mal de mots, vit difficilement la séparation. La fille, la jeune femme puis la mère, feint l'adaptation. Ce monde n'est pas, n'est plus leur monde. Au Liban comme en France. Seule constante : les plantes, qui n'ont pas besoin d'un bon terreau pour pousser. Qui poussent n'importe où, parfois n'importe comment. Il y a les bonnes et les mauvaises herbes. Il y a les gens bien, moulés dans l'uniformité et puis il y a les autres.

Et le style permet aux personnages d'exister. Et au lecteur d'être en osmose avec eux. De manquer d'air avec eux. Utilisant largement l'anaphore "Ilne sait pas lui, il ne sait pas la nuit, il ne sait pas que, dormir, ça veut dire mourir... " "J'aurais voulu être de ceux qui savent ... j'aurais voulu avoir un flegme et un sang froid ... j'aurais voulu avoir toutes les qualités...", l'auteure n'hésite pas à se répéter, à jouer avec les sens, les sensations avec des phrases courtes "J'ai envie de me lever et de partir. D'aller attendre ailleurs. Je n'affronte pas. Je ne suis pas efficace. La peur me rend impotent. La peur me rend infirme." et percutantes. "S'inventer une autre réalité, se créer un pays, inventer de nouvelles contrées vierges de tout ce qu'elle a connu avant. Tuer avant. Tuer le passé. Nous tuer ".

La trame de l'histoire, c'est ce fil d'Ariane qui relie le père et la fille au-delà de la réalité sordide. Il est le nœud dramatique à lui seul. C'est peut-être à cause de lui ou grâce à lui qu'à la fin du livre j'ai dit "ouf ! c'est fini."


Mauvaises herbes -Dima Abdallah - Editions Sabine Wespieser

Date de sortie : Août 2020

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