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« Les orages » de Sylvain Prudhomme

Dernière mise à jour : 5 juin 2021


Si les différents textes courts qui constituent ce recueil n’ont pas a priori de rapport les uns avec les autres, ils ont néanmoins un dénominateur commun, celui d’évoquer la fragilité. Les fragilités. Nos fragilités.

Prudhomme est une explorateur, un aventurier, un spéléologue de l’âme, et il a la générosité (et le courage, et le toupet) de nous faire part de ses trouvailles en donnant de la transparence aux voiles qui recouvrent ce que nous tentons de ne pas voir, quand il ne le met pas littéralement à nu : nos doutes, nos détresses, nos sentiments d’impuissance, mais aussi, notre capacité à faire face, nos élans d’espérance ou tout simplement notre mérite de continuer à vivre.


Pour parvenir à cela, l’auteur joue à étirer le temps, à fixer l’instant. Il pose des mots sur les détails les plus infimes, ceux que nos socialisations nous poussent à considérer comme étant les plus insignifiants, les plus banals. Il marche à contre sens du paraître. Son regard et sa plume débroussaillent les chemins de nos vies intérieures, frôlant, caressant, souvent avec une tendresse pudique, les plaies et les cicatrices que ses personnages eux-mêmes semblent ne pas connaître.


Ces textes courts ne sont pas des nouvelles. Pas de chute, en effet. Pas de théâtralité, non plus. Et pas forcément de suspens. L’auteur ne recherche pas le palpitant. Il montre ce qui fuit, ce qui nous échappe ou nous enivre. A la fin de chaque texte, on pourrait presque lire en filigrane ...et la vie continue. Car à travers la fragilité des personnages et des situations, c’est le vivant qui transparaît. Et le lecteur entre avec discrétion et curiosité dans ces intimités, attiré par leur lumière.


C’est aussi de son travail d’écrivain que nous fait part Sylvain Prudhomme. Et il ne s’en cache pas. Comme dans l’avant-dernier texte intitulé Fellini, où il décrit les aléas du protagoniste du film Huit et demi : Le lendemain l’homme se lève et se remet sans attendre au roman qu’il essaie d’écrire (son métier est d’écrire des romans). Il ne sait jamais très bien à quoi il veut que son roman ressemble. Il ne sait jamais très bien non plus ce qu’il veut dire ou taire de sa vie. Comme tous les jours il se remet à mêler le vécu, le rêvé, le fantasmé, l’absolument imaginaire qui paraît vrai et l’absolument vrai qui paraît imaginaire. Où veut-il en venir ? Il est bien le dernier à le savoir. C’est encore et toujours le même travail de taupe. Encore et toujours le même forage de galeries à l’aveugle, la même percée de tunnels et de cheminées qui mèneront on verra bien où. Les mêmes jeux de chausse-trappes, de faux-semblants, de géminations, de masques. Les mêmes éternels arrangements avec le même sac de secrets inavouables.


J’ai été particulièrement touché par la délicatesse, la pudeur et la justesse de ces Orages. Aussi, j’aimerais terminer cette chronique sur un toast, porté dans ce livre par Balzac. (Non, pas l’auteur de la Comédie humaine mais un illustre inconnu croisé au fond d’un bistrot en banlieue parisienne !)

Je bois au Temps, cher ami. Au Temps et à son élasticité. A ses galeries secrètes et ses double-fonds sans lesquels on pourrait tout de même vivre bien sûr – mais moins bien.


Les orages/Sylvain Prudhomme - Ed. l'arbalète Gallimard

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