top of page

« Le Roi du jour et de la nuit » de Anne Bourrel

Dernière mise à jour : 3 mai 2023


Un trou dans sa chaussette, et Salvador se sent aspiré dans le trou noir, cette région de l’espace où s’accumule une très grande quantité de matière, à moins que ce ne soit dans un tunnel ? Ou dans le grand tube en textile synthétique qui sert à évacuer des gens, des matériaux ? Quant à moi, lectrice, je suis invitée à partir en voyage, mais un voyage intérieur, intime, incongru avec l’auteure, Anne Bourrel.


Salvador est grutier. Souvent dans les nuages dit Estelle, sa femme. Depuis sa cabine de travail, à cinquante cinq mètres au-dessus du sol, il peut voir la résidence où il vit, jadis bien située, avec une vue imprenable sur la mer au loin … C’était avant que ne se construise tout un nouveau quartier. Une aubaine pour Salva qui travaille à cinq minutes de chez lui !


Salva est heureux en ménage mais malheureux en enfance. De père vaguement connu à une mère haut perchée sur ses escarpins rouges qu’il a délaissée voilà vingt ans déjà, il a soudain besoin de prendre le large, trop à l’étroit dans sa petite cabine de grutier.


L’accident lui en donne l’occasion. L’accident ? Quel accident ?


Le voilà au volant de sa Bagheera jaune – « stylisée par Matra en 1973 » - qui fonce vers la frontière à deux cent vingt quatre kilomètres de la ville où il travaille. En route pour Colera, un village méditerranéen en Catalogne à deux pas de la Costa Brava mais rien à voir ; ici, « que de vieilles veuves et des hommes aux pensées rudes. » C’est son village, celui de son enfance. Il a quitté le chantier à 14h 2mn et 16 secondes, un vendredi d’avril, et a planté José son chef avec son apprenti.


En chemin, il croise Fernando, chauffeur d’une vieille Mercedes vert salade, trois gitans sur des mobylettes, sa mère, colérique et chuchoteuse, qu’il entend chantonner dans la voiture. Il sent sa présence, sa main qui caresse son front ». Et puis, s’invitent dans son esprit vagabond Monsieur Josep, un des nombreux amants de sa mère, son père peut-être ? Léa la serveuse de la Côte rêvée, avec qui il passerait bien deux ou trois jour et Estelle, sa femme dont il est fou amoureux, psychologue à la médecine du travail, enceinte de huit mois.

« J’avais envie de dire à Léa que, celle qui m’avait toujours paru la plus fine, c’était la frontière entre le rêve et la réalité ». La frontière entre le rêve et la réalité, où est-elle ?

Brouillant les pistes en changeant continuellement de narrateur, nous larguant dans le temps et dans l’espace au gré des pensées de son protagoniste, l’auteure titille le lecteur façon David Linch, avec des indices mais pas toujours d’explications. L’heure de la pendule qui ne change pas ; le papier du sandwich dans la poubelle, le trou de la chaussette qui s’agrandit – d’ailleurs, quelle chaussette ? Celle de chantier ou celle qui draine le « mélange onctueux » préparé par les ouvriers ?

Le récit est savamment construit, avec des chemins de traverse pour nous égarer. Avec quelques touches de réalisme magique empruntées à Gabriel Garcia Marquez, de la poésie à chaque page, la mer, le vent, les embruns.

Quant aux titres des chapitres, ils s’affichent en trio. « Mercedes, Flamant rose, Piano » « Pin parasol, Vent, Hôtel » Comme des indices, des mots clés, une piste à suivre ou une énigme à résoudre.


Je confirme, comme le suggère la 4e de couverture, que ce roman est bien une « fantaisie littéraire où les clefs se cachent au bout d’étranges sentiers » pour partir à la quête d’un père ? D’une mère ? De soi ?

Anne Bourrel est romancière, nouvelliste, dramaturge, elle écrit de la poésie, propose des performances de lectures accompagnée de musiciens. Lauréate de six prix littéraires, elle est traduite en anglais et en arabe.

31 vues

Posts récents

Voir tout
bottom of page