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« Le partage d'Orient » de Sophie Makariou

Dernière mise à jour : 16 mai 2021


« Le partage d'Orient » de Sophie Makariou

Moitié française pas sa mère, moitié chypriote par son père, Sophie Makariou, présidente du musée Grimet, éminente spécialiste des arts de l’Islam et créatrice du département des Arts de l’Islam du Louvre, écrit les premiers mots de son livre Le partage d’Orient : « On n’est pas la moitié d’une moitié ». Phrase refrain de son enfance que son père revendiquait comme chypriote à part entière. C’est l’histoire de cette île de la méditerranée orientale sur laquelle s’est abattue en 1974 une tragédie : l’envahissement de Chypre par la Turquie qui entraina le partage de l’île entre Grecs orthodoxes et Turcs musulmans. C’est aussi l’histoire de sa famille que cette tragédie a douloureusement percutée. « Je suis née à Chypre en 1973. Pourtant, j’allais avoir 7 ans ». L’auteure remonte le temps, fait revivre les souvenirs de bonheur de cette année, les retrouvailles avec le père admiré et aimé, la fête familiale, le goût des petits croissants d’Orient, la senteur soûlante du jasmin, les couleurs, le soleil, les pierres, la mer, l’ivresse d’un autre monde, le jeu des langues – le grec, le français, le râpeux dialecte chypriote. Enchevêtrement immuable de l’histoire familiale avec l’histoire de l’île. Une histoire complexe depuis des siècles, entre Orient et Occident, aux caractères hellénophones, marquée aussi par une antique culture française où, rappelle l’auteure, la dynastie des Lusignan a apporté l’art gothique. C’est dire la richesse humaine et culturelle de Chypre que la guerre et le partage ont détruite, comme s’il fallait éradiquer toute trace de l’autre et du passé. Ce ne sont que blessures, déchirures, douleurs dans la terre et dans les familles. L’auteure raconte que lors de ses nombreux retours à Nicosie, capitale coupée en deux, elle est chaque fois confrontée à la brutalité de la réalité, elle se heurte au mur, à cette « balafre » qui traverse la ville. Cette sensation, Sophie Makariou l’a éprouvée aussi à Beyrouth, ville de l’amour et de la mort, attachée à sa « géographie sentimentale » par sa rencontre avec Nessim qui l’a accompagnée dans ses années de formation sur l’Islam.

« Chypre et le Liban, l’un comme l’autre, faisaient partie de cette bascule de la table de l’Orient méditerranéen ». Même proximité des lieux, mêmes paysages frères, mêmes déchirures. La langue, la littérature, la poésie ont pour tous les deux « force de loi face à la déraison ». Elle écrit encore : « Nos pays étaient comme deux balcons au-dessus de la Méditerranée ». Tous les deux vivent un exil, une déchirure dans leur identité et cherchent la réparation. Et celle-ci passe par l’art. Face aux destructions du patrimoine oriental – les bouddhas de Bamiyan, les églises byzantines de Chypre, Palmyre, Alep, Tombouctou, jusqu’aux Twin Towers de New-York, c’est avec colère et douleur qu’elle constate que « ce que l’on fait aux images, on le fait aux hommes ». Ses ennemis sont l’obscurantisme et le déni d’universalisme, déclencheurs de violences. Pour Sophie Makariou, les musées sont des lieux du combat des idées de l’islamisme, cette « maladie auto-immune » de l’islam qui ne veut rien conserver, pas une pierre, pas une statue, pas une fresque, de ce qui l’a précédé.

« Le peuple des pierres du passé était désormais un ennemi à abattre, une mémoire à exterminer ». La démarche de Sophie Makariou est remarquable de courage et de sincérité, dénuée de nostalgie. A Istanbul, ville qu’elle chérit particulièrement, elle y découvre la beauté, l’ivresse des délices culinaires, et surtout, une langue. Elle écrit : « J’ai toujours eu plaisir à me glisser dans une autre langue que la mienne, mais celle-ci était revêtue d’un sens bien particulier : langue de l’autre, de l’ennemi en quelque sorte, s’en saisir, c’était dompter quelque chose en moi, le réconcilier, c’était prononcer une langue que mon grand-père, mon père avant moi avaient dite. C’était ramener en moi tout le peuple de Chypre. A Istanbul je venais reconstituer une complétude ». Elle aime les lieux de mémoire partagée où elle observe en toute lucidité et avec beaucoup d'amour comment ils sont au cœur des changements de ce siècle.


Le partage d'Orient de Sophie Makariou édité chez Stock en avril 2021

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