«Le Musée national » de Diane Mazloum
Dernière mise à jour : 6 avr. 2022

Ce soir, « j’ai rendez-vous au musée avec moi-même. » Je, c’est l’autrice Diane Mazloum, libanaise aux multiples racines, née à Paris, élevée à Rome et à Beyrouth, qui décide de revenir au Liban juste avant l’horrible explosion du 4 août 2020 qui a tout soufflé sur son passage. Le musée, c’est le Musée National de Beyrouth, situé sur la ligne de démarcation ayant séparé Beyrouth Est de Beyrouth Ouest pendant les 15 ans d'une guerre civile atrocement violente, qui a martyrisé pour longtemps le pays et ses habitants. Miraculeusement, le musée a résisté et c’est ainsi que l’exilée Diane Mazloum accepte, à la demande de son éditrice, de passer le 23 décembre 2020 une nuit dans ce musée qu’elle refusait de voir quand elle passait si souvent devant. Pour elle, le moment était venu d’essayer de se plonger dans le passé du Liban pour comprendre quel pourrait être son avenir. Le moment aussi de mieux se connaître, de trouver son identité dans la relation d’amour complexe et ambiguë qu’elle entretient avec son pays. A peine entrée dans le musée, elle se demande : « Que faire de ce patrimoine dont je ne peux saisir la portée ? » Dans ce musée qui contient tant de trésors et de richesses témoignant d’un passé fabuleux, debout à une fenêtre, le regard tourné vers l’extérieur, elle a la dérangeante sensation d'être épiée par les statues, les sarcophages, les mosaïques. Elle s’aperçoit qu’elle a choisi de placer son lit de camp à l’endroit où un sniper avait ouvert une brèche dans la mosaïque du mur pour installer son arme meurtrière le plus efficacement possible. La voilà, oscillant en déséquilibre entre deux mondes, l’antique et le contemporain, face à un pays pétri de contradictions et de conflits, dans une ville sous le charme de laquelle elle ne peut que tomber. Tant de questions se posent à elle : peut-on échapper à son enfance, à la difficulté du présent ? comment fait-on face à un gâchis national, comment peut-on vivre avec ? Dans la nuit du musée, elle cherche des réponses. « Esquiver le musée, c’est fuir mes origines et mon histoire, me couler dans la pathologie nationale du déni, de l’oubli, de la reconstitution facile, cet univers d’illusions que l’on porte gravé dans la cervelle. » Comme tous les déracinés, elle est tiraillée entre nostalgie et déracinement. « C’est ainsi qu’assise dans mon coin entre la déesse Hygéia et le trou du franc-tireur, je ressens à nouveau une oppression de la poitrine. Je suis aussi démunie face à l’histoire de mon pays qu’en compagnie des œuvres qui me font face et qui font tout autant partie de mon histoire. » Minée par la constatation de l’échec de son pays, de son naufrage, de la démolition de l’alliage du meilleur de ce que l’Orient et l’Occident avaient à offrir, elle se demande qu’est-ce qui pourrait sauver son pays. Se creusant la cervelle, elle en déduit qu’elle doit croire en son passé pour réinventer l’avenir, qu’elle ne peut pas comprendre le présent sans connaître le passé. Dans le musée, confrontée aux témoins des civilisations anciennes grecque, romaine, phénicienne, égyptienne et perse, elle comprend que si elle ressent avec une telle force son attachement à son pays, c'est au nom de l’empreinte historique et dans l’espoir d’un avenir à inventer et construire. Il y a beaucoup d’amour dans ce récit, beaucoup de lucidité et de courage avec aussi une teinte d’amertume. Pour en revenir à la nuit passée dans ce musée avec Diane Mazloum, je retiendrais une phrase, courte et si intense, qui résume bien ses pensées : « Le musée représente tout ce que le Liban n’a pas réussi à être. » Réussira-t-il ou, comme l’a dit l’auteure, « sera-t-il devenu tout entier un musée national ? »
Le Musée national de Diane Mazloum : parution en mars 2022 chez Stock dans la collection Ma nuit au musée.