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« Le miel et l'amertume » de Tahar Ben Jelloun

Dernière mise à jour : 16 mai 2021


« Le miel et l'amertume » de Tahar Ben Jelloun

C'est un roman choral, presque un pamphlet. L'objet visé : les dérives de la société marocaine, avec en tête la corruption, le poids des traditions "Chez nous, l'amour ça vient après, jamais avant (le mariage), nous avons l'amour construit sur la raison et l'habitude" et le poids de la religion. "Un pays où on construit plus de mosquées que d'écoles est un pays fini".

Un couple de retraités et leurs trois enfants vont tout à tour prendre la parole pour évoquer des souvenirs plein d'amertume, en évitant d'aborder "la tragédie" qui ne sera dévoilée au lecteur qu'en deuxième partie du roman. Mourad et Malika forme un couple "arrangé" par les parents selon la tradition, qui avait tout pour être heureux mais qui a perdu sa chance de l'être au fil des ans à force de vouloir se mouler dans la société corrompue qui gangrène le pays. "Mon supérieur hiérarchique me convoqua un jour pour me demander de faire preuve d'un peu de marocanité" raconte Mourad, ébahi - au début de sa carrière. "Ici, le normal, c'est l'enveloppe glissée dans un bouquin de cuisine ou un livre de poche que personne ne lit", explique un de ses collègues. Le temps a fait le reste. Et le reste s'est moisi. Jusqu'à vivre dans un sous-sol, à l'abri du soleil de Tanger, la ville blanche. Mais la retraite sonnant la fin des enveloppes, la vie matérielle devient difficile d'autant que la santé fragile de Malika agit sur son caractère et celui de son mari. Le couple se déchire, la haine et la rancœur s'installent, le déni, le non dit aussi. La "tragédie" n'est jamais évoquée entre eux. Les deux fils, "protégés" par leurs épouses ou par l'éloignement géographique, se font rares évitant l'ingérence dans une vie qu'ils ne cautionnent pas. C'est dans cette ambiance lugubre que Viad arrive dans la vie de Mourad et Malika. Ce migrant mauritanien "doux et bienveillant" va tenter de leur apporter la lumière qui manque terriblement dans le sous-sol vieillot. Cela suffira-t-il à donner au couple un peu de bonheur ?

Quant à la tragédie, nœud du roman, sa révélation éclatera par la voix de leur fille Samia, lycéenne de 16 ans, nourrie de littérature et de poésie, qui rêve d'être publiée et consigne sa vie dans son journal intime.

L'écriture est profondément empathique par son parti pris de donner à entendre les six protagonistes de cette histoire dont les échos passent largement les frontières marocaines. Elle est précise aussi "Mes deux garçons ont été avalés par leurs épouses". L'auteur accorde une belle part à la littérature, la poésie et même le cinéma ; échappatoire qu'il offre à Samia pour l'aider à mieux vivre. Mais cela aidera-t-il la jeune poétesse, qui clôt ses pages de journal par des poèmes : Sur les paupières lourdes du matin/J'ai tracé des syllabes tombées de ma nuit/Elles me disent que je n'aime rien/Seule la poésie/Me donne du pain et du miel/Je ne sais pas où je vais/Et même si je le savais/Quelle importance ?

Tahar Ben Jelloun a obtenu le prix Goncourt en 1987 pour La nuit sacrée. Il est l'auteur de romans, récits et recueils de poèmes.


« Le miel et l'amertume » de Tahar Ben Jelloun - Éditions Gallimard Décembre 2020



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