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« La Palourde » de Sigolène Vinson

Dernière mise à jour : 20 mai 2023


« Tout a commencé par la mort des palourdes, mais en suis-je vraiment certaine ? »

Le nouveau roman de Sigolène Vinson dédié « Aux peuples de l’étang » commence par cette phrase énigmatique. Qui s’est déjà approché de l’autrice et a lu son roman Le caillou reconnaîtra le lieu de l’étang de Berre et le fantastique où baigne la relation de l’humain avec la nature. On apprend que la narratrice s’est réfugiée dans un petit village de pêcheurs au bord de l’étang et que la mort des palourdes et autres vivants de ce milieu aquatique n’est pas fortuite. Elle est due à la présence d’une centrale hydroélectrique proche du village, laquelle pollue l’étang en y déversant ses eaux trop chaudes. La narratrice, qui a fui une société où elle ne se retrouve pas, est réveillée par « l’odeur de pourrissement » que dégage une palourde en train de périr. Inondée de sueur, baignant dans la canicule nocturne, elle est prise d’hallucinations, de mirages. La mort lente de ces animaux de l’étang la pénètre, l’habite, la terrorise, la brûle. Un des personnages lui dit : « je dois me rendre à l’évidence, la lagune est entrée en toi pour y répandre sa mélancolie. » Comment trouver l’apaisement ? Comment arrêter le massacre ? Comment s’en sortir quand tout s’en va ? Alors, elle raconte des histoires, celles des vies grouillantes dans l’étang qu’elle observe et connaît si bien ; celles aussi des humains qu’elle rencontre, les pêcheurs qui tentent de survivre, un éleveur de dindons et sa compagne délirante, et puis un ingénieur, enfant du pays qui travaille justement à la centrale polluante. Curieusement, c’est vers celui-là même qui apporte la mort qu’elle se sent attirée. Elle rêve de l’embrasser alors qu’elle a depuis longtemps renoncé à l’amour. « L’amour ne m’intéressait plus. La sexualité encore moins. Je me souvenais des afflux de sang quand quelqu’un m’étreignait. Longtemps, j’avais donné le change à ma nature humaine, répondu à ses mots d’ordre. Mais, subrepticement, je m’étais éloignée des dernières nouvelles, me contentant d’une forme de vie peu évoluée, qui ne cherche pas à se reproduire, tant elle n’est pas grand-chose. Et j’avais fini par mener une existence où le plaisir n’était plus qu’un lointain son de fifre, une formalité dont je me serais dégagée. » Tandis qu’elle parcourt le chemin de la roselière, s’enivrant des odeurs et couleurs de la nature, elle réfléchit sur la destruction de celle-ci par les hommes, le doute l’envahit, « tout était-il en train de mourir ou tout finalement serait-il condamné à survivre ? » Elle cherche à maintenir un certain équilibre entre le tragique de la réalité et le fantastique de la fiction. - « Comment veux-tu stabiliser du sable de rivière ? – C’est qui le sable de rivière, c’est moi ? – C’est toi, c’est moi, c’est nous tous qui naissons et mourons. » Moment d’apaisement, où règne une symbiose entre la nature et l’homme. « En fin de journée, la falaise, si jaune dans le ciel bleu, flamboie sous les derniers rayons du soleil. Elle enveloppe le port et l’étang d’une poudre dorée qui les immobilise. La baie est calme, la lumière ambrée a endormi les flots, il n’y a plus ni houle ni onde. Les êtres vivants aussi sont laissés pour morts, consumés de l’intérieur par tant de calme et de beauté. Cet écueil d’ocre est mon milieu, et mon foyer. Quelle différence existe-t-il entre la pierre et moi ? comme elle, je suis friable, sable de rivière impossible à stabiliser. Mouvante, je pourrais m’évader. Je reste pourtant là, où chaque soir, l’embrasement de la roche me remet à ma place. Ne pas oublier que je suis moins que rien, une palourde qui crève la coquille ouverte, c’est déjà trop. » Réflexion sur le temps qui passe et l’échéance de la fin qui s’approche. « Je me demandais comment étirer cette minute qui précède le début de la fin ». Réflexion sur la réalité et la fiction, sur la manipulation du vrai et du faux. « Les notes de mes carnets contrefont parfois la réalité, mais les articles que j’en tire sont toujours considérés comme des histoires vraies. Ainsi, j’ignore si je suis ou non faussaire, si j’agis pour tromper la mort ou tromper la vie. » Sujets graves, tragiques, mais que traite l’autrice non sans humour. « Le plus souvent, malgré mes airs d’ennui, je me tiens en marge de la tristesse. Je mise tout sur ma disposition naturelle à l’abêtissement. La largeur de mes dents me pousse à rire et j’ai bon espoir, tôt ou tard, de me changer en âne. » Et pour finir, ces quelques lignes d’espoir d’une sincérité profonde : « En secret, j’espère un dénouement où je serai en règle avec les êtres qui peuplent mes calepins, où je serai libérée de mes obligations envers les hommes et les mouettes. Oui, je rêve d’une fin heureuse. Pour les histoires vraies et celles que je feins. »

Magicienne sensible de la langue, elle se dévoile, flottant en suspension dans l'eau, triste et joyeuse, réaliste et fantaisiste. "Il faut tenter de vivre."



La Palourde roman inclassable publié en février 2023 par les éditions Le Tripode.


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