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« La Maison » de Robert Colonna D’Istria


Pourquoi J voulait-elle construire une maison ? Car elle voulait bel et bien construire une maison, pas seulement la posséder, l’habiter, y passer ses vacances. Mille raisons pouvaient être avancées …


La réponse est multiple ; le roman, singulier.


Elle s’appelle J et veut une mère-mère, une maison du bonheur, une maison ouverte, une maison refuge. Elle veut la construire dans l’île. En haut d’une falaise d’où la vue est époustouflante. D’elle, nous savons peu de choses, si ce n’est l’initiale de son prénom et sa détermination ; de l’île nous pouvons penser qu’elle s’appelle La Corse, à cause peut-être de sa réputation On n’achetait pas un bien immobilier comme cela : il fallait montrer patte blanche, se faire admettre dans le club fermé des propriétaires. J y a passé, enfant, des vacances heureuses dans la grande maison de famille récupérée par son frère à la mort des parents. Petit à petit, au fur et à mesure qu’elle avance dans sa vie d’adulte pourtant si bien rangée, confortable et douce, aux côtés de son compagnon Simon et de leur fils qui grandit sans problème, lui vient l’obsession de l’île. L’impérieux besoin de recréer un ancrage familial. Pour donner à sa descendance la possibilité d’avoir des émotions au moins aussi fortes que celles ressenties autrefois. Et puis, les îles avaient toujours fait rêver.

Mais entre la conception et la construction de sa maison, va s’ouvrir un long chemin de croix. Avec l’aide de Robert, un artisan local, le meilleur atout pour réaliser son rêve, le chemin s’annonçait sans obstacles. Puis très vite, du gravillon d’abord, des cailloux ensuite, et des pierres, et des rochers, et des gravats vont l’encombrer, l’obstruer, le rendre impraticable. Trop de déconvenues, de problèmes administratifs, de retards de chantier, de livraison de matériels défectueux, de catastrophes naturelles, empêchent l’achèvement de la maison. Autant de déboires qui n’atteignent cependant pas le moral de J car au fonds, a-t-elle envie de la finir cette maison ? La période de gestation est tellement jouissive Que ce serait ennuyeux, quand la maison serait terminée ! Quand tout serait en ordre, qu’il n’y aurait plus rien à espérer, imaginer, plus rien à faire !…


L’universalité du roman réside dans l’alternance des sentiments : désir, envie, découragement, acharnement, échec, succès, défaite, espoir …, dans la symbolique du mot « île » Une île était nécessairement le résultat d’une faille, d’une cassure, d’une séparation. Et les îles dérivaient. Et dans le pouvoir d’identification du lecteur.

Le style est sobre, coloré par quelques bulles poétiques Se perdre pour arriver où ? En soi. Au paradis retrouvé. Dans la lumière de la beauté ensoleillée. Ou encore Maintenant que J savait ce qu’elle était, tout était possible : elle pouvait accrocher sa vie à une étoile – à toutes les étoiles. Ecrit comme une longue nouvelle à chute … Le personnage principal, J, reste flou. Ni son physique, ni son âge, ni son nom n’ont d’intérêt pour illustrer le propos de l’auteur. Le titre du roman, court et sec, donne le ton. L’accumulation des tâches à accomplir se fait sentir aussi par la répétition. L’auteur en use et en abuse parfois, se contredisant même quand il évoque l’intégration de J auprès des autochtones… Elle était entourée d’indifférence … Les femmes apparemment sans le moindre effort – c’est-à-dire au nom d’une très spontanée sympathie humaine – s’intéressaient à J, à sa construction, à sa vie.


Robert Colonna d’Istria a publié de la poésie, des essais, des récits de voyage, des romans, et des exercices d’admiration : terme que l’on doit à Cioran « la pratique de l’admiration est une méthode pour grandir et étoffer son âme ». Il y a dans ce roman de quoi « grandir et étoffer son âme » et ce, à partir d’une idée toute simple : vouloir construire sa maison. Un véritable challenge littéraire.


« La Maison » de Robert Colonna D’Istria – Editions Actes Sud – Janvier 2023

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