« Brûlant était le regard de Picasso » d'Eugène Ébodé

S'il faut attendre la page 157 pour rencontrer le regard brûlant de Picasso qu'importe! Nous étions entrés dans l'histoire depuis longtemps, avant même que Mado ne nous ouvre "sa boîte à nostalgie".
Tout commence lorsque son père, Gösta Hammar, un jeune suédois, débarque à Douala en 1929 invité par son oncle maternel Mathias Sylvander dans sa société forestière du Cameroun. Gösta y fera sa carrière et son éducation sentimentale, avec ses amours et ses drames d'où naîtra Mado. L'époque est troublée, la guerre arrive qui précède la décolonisation. A travers cette épopée familiale Eugène Ebodé nous embarque au coeur d'un vingtième siècle turbulent et tragique, où "l'homme noir a perdu pied en étant assujetti en permanence ".Ses artistes de renom, d'Aimée, Césaire à Louis Armstrong, en passant par Léopold Sédar Senghor ne suffisent pas, comme Mado Hammar en fait l'amer constat lorsqu'elle côtoie les célébrités d'après guerre.! Cette guerre qui lui avait d'abord tout pris, jusqu’à "ses maigres souvenirs menacés par les formes brumeuses que le temps jette sur la mémoire "
Avec son langage très imagé, c'est bien à une sorte de recherche du temps perdu que se livre Eugène Ebodé à travers cette jeune métisse qui à l'aube de ses 80 ans se raconte alors que son grand amour Marcel se meurt. De ses souvenirs heureux à Rivière rouge et blanche, à sa "boîte à chagrin " qu'etait devenue Edéa où son père l'avait laissée, à son départ vers la France, son escale à Témara au Maroc, ovationnant le général de Gaulle, jusqu'au froid et les regards de biais qui l'accueillent à son arrivée à Perpignan. Des tirailleurs sénégalais trahis à la belle époque qui s'était prolongée opportunément sous les tropiques pour le plus grand plaisir des colons, Mado renaît pourtant comme les survivants de la guerre au Musée de Céret. Alors l'Egérie secrète des artistes de renom, la danseuse aux semelles de vent tombera- t -elle sous le regard brûlant de Picasso " le peintre du siècle et des suivants qui peignait comme un dieu,mais qui en amour boitait comme mille diables ?
La fresque est aussi ironique et caustique quand il le faut, et politique évidemment pour cet écrivain camerounais qui se noie parfois dans les méandres de ses innombrables flash back et une histoire qui se délite dans la grisaille et la solitude des confinements de la Convie 19 et de ses mutations , jusqu’à la disparition de Manu Dibango victime "de la funeste bactérie ". Ce passage obligé n'était pas vraiment nécessai
"Brûlant était le regard de Picasso", de Eugène EBODÉ
Publié chez Continents noirs, nef Gallimard.