« Colonne » d'Adrien Bosc

Commencé avec Constellation puis Capitaine, voici Colonne, le troisième récit d’une trilogie liée par la même lettre C du titre, C comme aussi communauté, autre fil rouge reliant les trois récits qui racontent, chacun à leur manière, la vie et le destin d’une communauté provisoire dans un moment historique précis. Dans ce dernier livre, l’auteur s’est intéressé à la colonne Durruti qui rassembla une communauté de combattants anarchistes dont le but était de prêter main-forte aux Républicains espagnols durant la guerre civile contre les phalangistes de Franco. Nous sommes au début de la guerre en août 1936, au bord de l’Ebre, un groupe hétéroclite d’une dizaine d’hommes, allant d’un anarchiste kabyle à un ancien de Verdun, voit arriver dans leur campement la jeune philosophe Simone Weil avec l’intention farouche et affirmée de se battre à leurs côtés. On sait peu de choses sur cet épisode de la vie de Simone Weil, mais ce qui est sûr et ce qui a séduit l’auteur, c’est sa détermination dans un engagement entier à défendre tous les opprimés au péril de sa vie. Cette brillante intellectuelle, femme de convictions, entend agir sur le terrain, aux côtés des syndicalistes et des ouvriers dont elle a partagé les conditions de travail dans les usines. Si elle rejoint la brigade internationale, c’est au nom de leur idéal de liberté et de justice qu’elle partage totalement et sans compromission. « Ecrire, penser, agir sont une seule et même chose. » Elle passe quelques jours sur le front mais doit, à la suite d’une blessure stupide sans lien avec la guerre, être transférée à l’arrière-pays puis rapatriée en France. C’est le moment où Adrien Bosc s’intéresse à saisir le point de bascule dans la vie de Simone Weil. Celle-ci réalise avec grandes lucidité et intégrité morale l’absurdité de cette guerre, la barbarie des combattants et la banalisation de la violence dans les deux camps. Elle écrit une lettre à Georges Bernanos, touchée par Les Grands Cimetières sous la lune, le livre dans lequel ce catholique monarchiste dénonce sans ambiguïté les crimes des partisans de Franco. L’auteur y voit « une expérience opposée, une désillusion commune ». Elle avoue: « J’ai reconnu cette odeur de guerre civile, de sang et de terreur que dégage votre livre ; je l’avais respirée. » Pour Simone Weil, c’est l’assassinat d’un adolescent dont Adrien Bosc retrouve la trace dans ses investigations aux marges de l’histoire, fils d’un instituteur enrôlé de force dans la Phalange et exécuté par ses compagnons de lutte, qui bouscule ce point de bascule. Y-a-t-il une guerre juste et que peut-elle être ? Qu’en est-il de la trahison des idéaux ? « On part en volontaire, avec des idées de sacrifice, et on tombe dans une guerre qui ressemble à une guerre de mercenaires, avec beaucoup de cruautés en plus et le sens des égards dus à l’ennemi en moins. » Cette lettre sera retrouvée dans une veste de Georges Bernanos à sa mort en 1948. C’est un livre sur les rencontres, les amitiés, les croisements de destinées. C’est un questionnement sur la recherche de la vérité de l’instant, sur la signification et les motivations de l’engagement. Ecrit dans une langue concise, précise, toujours juste, ce récit révèle un travail d’investigation de l’auteur pour identifier les oubliés de l’Histoire venus combattre pour la liberté, mus par des motivations diverses et personnelles. Comment ne pas voir dans l’analyse de Simone Weil la vision prémonitoire du cheminement vers la 2ème guerre mondiale et ses horreurs ?
Adrien Bosc reçoit en 2014 pour son premier roman Constellation le Grand Prix du roman de l'Académie française. il publie Capitaine en 2018, deuxième volet d'une trilogie qu'il clôt avec Colonne en 2022. Tous les trois sont édités chez Stock.