top of page

« Bel abîme » de Yamen Manai


"La vérité c'est qu'on ne mérite pas d'avoir des animaux dans ce pays, même pas des chiens, même pas des mouches. On devrait rester entre nous, entre monstres."

Sur un chantier désaffecté une petite chienne abandonnée va changer la vie d'un adolescent.

Nous sommes en Tunisie. De nos jours. Maître Bakouche, avocat et le docteur Latrache, psychiatre sont tour à tour les interlocuteurs de cet adolescent emprisonné pour avoir tiré sur son père, entre autres ...

Emblématique d'une jeunesse brimée déçue par les promesses avortées du printemps arabe, le héros de ce roman n'a que 15 ans. Il est battu par son père, mal défendu par sa mère entièrement soumise à son mari et n'a que l'amour de sa petite chienne Bella pour survivre et se donner l'illusion d'une quelconque utilité sur cette terre.

Le récit, en forme de monologue, est à la fois une longue plainte, un appel au secours, et un pamphlet contre des dirigeants qui n'ont tiré aucune leçon des années de dictature. La corruption, les petits arrangements entre responsables politiques, reviennent.

Le langage est cru comme celui d'un ado qui ne prend pas de gant pour dire les quatre vérités "C'est vrai aujourd'hui on est libre de dire merde en plein jour ? Merde alors. Merde. Ca a rempli combien de panses ? Merde. Ca a créé combien d'emplois ? Merde. Ca a sauvé combien de jeunes de la violence ? "

Le ton humoristique ou caustique sert le propos politique. La religion, subtilement, est évoquée : "Sous un ciel de deuil et une lune de sang, j'ai joint mes mains à ma poitrine et d'une voix d'outre-tombe j'ai prié (...) qu'on ne vienne pas me dire qu'un chien n'a pas d'âme ! Si Dieu n'avait pas ressuscité Bella, Il devait au moins la reconnaître, car si même le ciel ne lui accordait pas une place, à quoi bon l'avait-Il créée ?"

Il se dégage de ce récit dense, une émotion à fleur de peau dans la rencontre entre l'adolescent (sans nom) et sa chienne (qui a un nom) ; dans la relation de l'accusé avec ses défenseurs ; dans les propos, forts, qu'un jeune qui n'a plus rien à perdre, tient sans tabou ; dans le choix symbolique qu'a choisi l'auteur pour illustrer son propos (les mains).

Yamen Manai est né en Tunisie en 1980. Il est l'auteur de trois romans parus chez Elyzard, tous primés.


« Bel abîme » de Yamen Manai - Ed.Elysard



42 vues

Posts récents

Voir tout
bottom of page