« 43 feuillets » de Bruno Messina

L’envers du décor. Les coulisses vues par un musicien intermittent.
Mais est-il vraiment musicien ? Sa femme croit qu’il s’amuse ! En réalité, il court le cachet comme elle court elle court la banlieue ; Nice, Cannes, Milan, New-York, quand ce n’est pas le car c’est l’avion, quand ce n’est pas un mariage c’est une soirée privée, un bal dans l’arrière pays ; la routine quoi !
Et le narrateur de nous faire partager son quotidien d’intermittent en quête des 507 heures de travail pour dix mois et demi de travail, graal qui assure le confort de sa femme Ariane et de sa fille Clara. Mais pour l’atteindre ce graal quand on n’est pas un artiste reconnu il faut avoir mis de l’eau dans son vin, avoir oublié de sublimer l’auditeur en perfectionnant son style, en composant, en arrangeant des mélodies à son propre rythme ; en s’accommodant de malbouffe, de nuits sans sommeil, de petits matins nauséeux, de la crasse et des paillettes qui la cachent. Il faut s’oublier et monter dans le car en se bouchant les oreilles. Et les oreilles justement, il en question dans ce récit. Elles ne sont plus ce qu’elles étaient, elles vont devenir un problème, un vrai. Mal entendre pour un musicien, c’est quand même handicapant, Beethoven pourrait confirmer.
Et l’auteur de nous mettre dans la peau du musicien, de nous faire ressentir son dégoût, son impatience, sa lassitude, de nous faire partager ses excès, ses dérives, ses conversations avec ses potes, ses moments de stress, de délire ou d’amertume. Courts paragraphes, écriture en vers libre, humour, beaucoup d’humour, de la dérision, le tout brillamment orchestré en une partition littéraire composée de quatre parties.
« Ensuite il y a le bal, la soirée, le gala.Tout s’enchaîne assez vite : on digère mal, on est cassés en deux, on nous interdit les toilettes des clients, on s’habille, on se mouille un peu les cheveux, on souffle dans les instruments, on monte sur scène, les gens dansent, on saute, on sourit pour de bon, on fatigue, on en a marre, on regarde la montre et le chef – deux fois, de l’une à l’autre pour qu’il comprenne -, on joue mal, les gens s’en vont, ils nous remercient, ils nous insultent, ils s’en foutent, ils sont bourrés, ils sont contents ».
Sur la page de garde, rappel d’un article du Monde du 26 Février 2014 sur ce régime spécifique d’intermittent créé en 1936, d’abord pour l’industrie du cinéma, et qui permet une embauche en CDD « d’usage ». Je ne crois pas me tromper en disant que cette spécificité française est enviée par beaucoup de pays.
« 43 feuillets » de Bruno Messina Actes Sud - Juin 2022