3e chronique "Le mangeur de livres" Stéphane Malandrin
Dernière mise à jour : 7 avr. 2019

Gargantuesque pantagruelique, la vie primaire foisonne, la merde et le sang font mieux que l'engrais dans cette Cour des miracles de Lisbonne où se vautrent deux garnements à l'ombre de ces " ventres qui se remplissent à l excès de manger et de boire". Les mots qui sentent mauvais se bousculent dans les effluves des bêtes qu'on égorge. C'est dans ce cloaque que sont nés Agar et Faustino. Pour manger ils se faufilent dans ces ripailles dans ce grouillemnt de "paillards à moitié nus qui voient des phallus poursuivre des nymphes hurlant d'allégresse" et des prêtres orduriers.
Nous sommes en 1488 à Lisbonne à la veille de la diffusion de l'imprimerie. Les garnements qui finissent par se faire prendre sont sauvés parle père Cristevero, un géant de 7 pieds de haut, "des pognes de bucheron , le visage dissimulé sous une barbe noire qui sentait l'oignon et la morue qui le faisait ressembler à Moïse que Michel Ange n'avait pas encore sculpté". Comme c'est magistralement bien écrit ! C'est dans cette crypte qu'Adar commence à dévorer un vieux Codex pour ne pas mourir de faim. C'est le goût âcre du premier livre qu'un enfant perdu ait jamais mangé pour survivre, mais c'est un poison. En s'échappant Adar est condamné à errer dans les bibliotheques alors que son frere fait sauter les rubis et les émeraudes des manuscrits "où il y a plus d'or et de diamants que dans toutes les bibliothèques du Portugal. Adar reconnaît un codex comme la louve ses petits en reniflant l'odeur chargée d'encre séche. Manger mille codex c'etait une folie, 200 000 pages comme un ogre qui va exploser . Ce livre unique ecrit en cinq langues entremêlées le transforme en livre et le livre en lui même. Pas besoin de lire le livre je l'ai mangé .Le style est d'une richesse insolente, le mode d'emploi est meme livré a la fin. Stephane Malandrin avec son premier roman se révèle un ecrivain rare. Pourtant je reste sur ma faim.
Yves Izard